Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Le premier témoignage : Georges Viet

 

 

 

 

 

 

 

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Madeleine Femeau habitait Grenoble à cette époque.  Ancienne institutrice, elle avait vécu à Lormaye. Cette petite femme était une véritable boule d’énergie. Mais si discrète sur sa propre vie. C’est bien plus tard, que l’un de ses grands amis, son condisciple à l'Ecole Normale,  et autre témoin lormaisien, révéla : « Communiste convaincue, Présidente de l’Union des Femmes Françaises d’Eure-et-Loir, Madeleine Mesnil a contribué à l’évasion de 39 résistants du camp de Voves, et…. Epousé le quarantième. »

Pas du genre à transiger avec la vérité.  Pas du genre à croire aux contes de fées. Un esprit clair et concis.

 

Pourtant, à Lormaye, « l’affaire » n’avait publiquement mobilisé la population que cinq années plus tard, soit en septembre 1928. Le temps nécessaire au principal témoin pour se décider à dire enfin ce qu’il savait. Et aux autorités supposées compétentes pour se décider à enquêter. Madeleine Mesnil, née en 1919, était encore une enfant. Mais elle avait deux oreilles et entre ces deux oreilles une sacrée intelligence.

 

Ce témoignage enclencha des recherches aux archives départementales de Chartres.  On ne parlait pas de « numérisation » à l’époque. Pas même d’autorisation de photocopier et c’est sur le « Toshiba » portable que furent retranscrits mot à mot les 17 articles parus dans « L’Action Républicaine » entre le samedi 28 juillet 1928 et le mercredi 9 janvier 1929.

 

Lire la restranscription intégrale de l'interview de Madeleine Femeau sur : Affaire Seznec : la piste de Lormaye : la première interview

 

Ce qui permit l’ébauche d’un premier récit :

 

« Par une belle nuit de pleine lune, fin mai 1923, le jardinier Georges VIET revient d’un dîner chez son neveu de Coulombs, Marc Macé. VIET habite Lormaye. Il est un sympathique vieux garçon, mais il a ses habitudes : un jour fixe de la semaine chez ce neveu.

Il est à vélo. Il passe le pont de l’Eure, le petit passage à niveau. Puis aperçoit un grand remue-ménage dans la cour de Jean QUEMIN, 20 rue de Verdun. Il voit alors la forme d’un corps que l’on passe par-dessus les grilles de la ferme et il entend le bruit mat de sa chute dans la rivière d’Auge. La rivière d’Auge est en fait un fossé herbeux, juste à côté de la ferme de QUEMIN père, et qui sert au trop plein de l’Eure en hiver.

Les QUEMIN ont une sale réputation. « Notre Monsieur Georges » pédale plus vite pour rentrer chez lui. (ndlr Il habitait au bout de la rue du Péage).

Grand bien lui fasse d’avoir pédalé plus vite car il entend, juste après avoir fermé sa porte, que quelqu’un l’a suivi.

Dès le lendemain matin, VIET retourne voir l’Auge et trouve… un épouvantail à moineaux : Mai n’est pas une saison à jeter les épouvantails. Et le bois n’a jamais fait un bruit mat en tombant dans l’eau.

Il descend sous le pont, et trouve de la terre fraîchement remuée…. VIET ne va pas parler aux gendarmes. Il a peur. Mais il ne cesse d’en parler à son voisin le plus proche, Charles DOUCET, une figure locale, grand communiste, président du syndicat agricole et mari de l’institutrice de Lormaye, Clémence DOUCET. Ils sont tous deux morts le 4 Février 1938. Mais jamais un seul instant Charles DOUCET n’a émis un seul doute sur les paroles de Georges VIET. La nièce de Charles et de Clémence est Madeleine FEMEAU née MESNIL. Dont la maman, institutrice également, mais à Gallardon, habite Lormaye,

Très exactement rue des Clos. Elle est née en 1919. Elle connaîtra Georges VIET chez son oncle DOUCET et entendra maintes et maintes fois son histoire….

Revenons à Georges VIET…

Lui, le pauvre, il dort mal avec ce bruit mat sur la conscience… Mais un fait va le décider à déposer à la gendarmerie l’été 1928. Une main anonyme lui glisse sous sa porte un journal. Un journal local où une petite annonce a été entourée en rouge : « Monsieur VIET pourra-t-il dire quand il a vu Monsieur QUEMENEUR pour la dernière fois ?? »

Cette fois-ci, le gars Georges ne peut plus reculer. Il faut déposer aux gendarmes. Il a retrouvé la date exacte de cette fameuse nuit dans sa mémoire. Quand on est vieux gars et que l’on a ses habitudes… C’est le vendredi qu’il dîne chez son neveu de Coulombs. Il a fait le rapprochement avec l’Affaire SEZNEC. Avec la nuit du Vendredi 25 au Samedi 26 Mai 1923. Et il est bien décidé à parler.

Il faut croire qu’il va être crédible puisqu’il va y avoir des fouilles le samedi 15 septembre 1928.

Six terrassiers se présentent chez QUEMIN Père, accompagnés des gendarmes et du maire Alexandre GOISLARD.

MAIS, on ne fouillera pas là où le gars VIET l’indique. Le maire va dire « Pour satisfaire la population de Lormaye, je demande que l’on fouille sous le hangar à cochons ».

Car c’est une histoire de cochons qui ravage la population de Lormaye. Les fameux coches de QUEMIN. Qui, parqués dans un pré, servent d’équarrissage et à qui l’on vient apporter les petites bêtes mortes à manger : veaux ou moutons, selon. De là à ce que naisse une légende qui consiste à penser que le cadavre du conseiller général QUEMENEUR a été donné à manger aux cochons de QUEMIN.

Le pas est vite franchi.

Tout cela se déroulait dans la ferme du père, Jean QUEMIN, dit « Jean La Sacoche ».

 

 

Reprenons les personnages.

 

Qui était Georges Viet ?

Né à Lormaye le 21 mai 1874, Georges Viet est jardinier maraîcher en 1928.  Marcel Espiau dans « L’Ami du Peuple » du jeudi 2 août 1928 en donne la description suivante :

« En attendant l’arrivée du Parquet, nous avons rendu visite à M. Viet. Nous l’avons trouvé chez lui, dans une maison archaïque et tranquille, couronnée de vignes. Le front large, hâlé par les travaux des champs, les yeux bleus d’une étonnante limpidité, les gestes sobres et sûr, M. Viet, après nous avoir invité à nous asseoir, nous conte d’une voix nette, sans scories, ce qu’il a vu une nuit à Lormaye à l’époque où M. Quemeneur disparaissait mystérieusement (…) »

Raymond Gohon dans « L’Action Républicaine » du mercredi 1er août 1928 force le trait : « J’ai voulu voir d’abord M. Viet, que dans le pays on appelle, avec une respectueuse familiarité, M. Georges. Je suis ponctuellement les indications qu’un ami m’a données. Voici l’école, pleine de chants comme une volière. Rues et routes convergent vers elle. A vingt mètres, « Monsieur Georges » occupe la première maison d’un chemin calme, que l’eau présentement ronge des deux côtés  à la fois. Sous le toit  - seule coquetterie – court un bandeau de vigne. Je frappe à une porte semi-cintrée, dont l’encadrement de bois très ancien est comme creusé de rides. On m’ouvre : M. Viet m’a vu passer. Il n’a aucune surprise, car il n’espérait pas pouvoir éviter les journalistes. Je suis le premier, voilà tout.

On m’avait annoncé un jardinier. L’homme que j’ai devant moi a l’aspect, avec sa cotte bleue, propre et strictement boutonnée, d’un patron mécanicien. Il est solide et sympathique. On le devine homme à camper la vérité comme il a planté ma chaise en face de la sienne.

« M. Georges » me souffle tour à tour le chaud et le froid. J’éprouve un grand plaisir de ce qu’il soit très fidèle lecteur de L’Action.

J’aime moins qu’il ajoute : « Je ne parlerai que devant le juge d’instruction ». Mais il y a longtemps que cette déclaration ne me donne plus de battements de cœur. La tradition veut que ce soit toujours et partout la première phrase que nous entendions.

Des promesses de discrétions que vous ne m’en voudrez pas de tenir, décident mon interlocuteur à parler : « Les journaux, dit-il, prétendent que j’ai vu un homme porter un gros paquet enveloppé dans une toile. Je n’ai jamais vu cela. Je n’ai jamais dit cela. »

Féminine apparition

A ce moment, une charmante silhouette féminine apparaît dans le cadre de la porte :

- Messieurs !.... Je vous dérange, mon oncle ?

M. Viet ne dit pas non ; il se lève, va à la porte, puis revenant, me confie : « C’était justement ma nièce de Coulombs ! »

J’ai eu le temps de jeter indiscrètement un coup d’œil sur la pièce. Tout y est en ordre. Les vieux meubles ont le reflet de la propreté. Le vers de Hugo revient fatalement à la mémoire : «Le logis était propre, humble, paisible, honnête… »

Célibataire, M. Viet qui mène de pair la culture de son jardin et celle de son esprit – car c’est un lecteur passionné – trouve encore le moyen d’avoir pour son intérieur des soins de Cendrillon. »

Charles Huzo – qui va vivre plus d’un mois dans ce petit village de 500 habitants, nous campe le personnage du témoin principal, dans « L’Ere Nouvelle » du lundi 8 octobre 1928 : « A Lormaye, c’est sous une tonnelle, où mûrit sous le tiède soleil des automnes, la récolte des pampres dorés, que M. V…. me reçoit. Son visage rose, aux yeux clairs, vifs, qui regardent bien en face, inspire la loyauté, la droiture ; son corps puissant, robuste, dénote une force paisible……. Saine. »

Et Madame Fémeau de déclarer le 7 octobre 1992 : « C’est un autre témoin qui l’a vu, quelqu’un de très honorable. Qu’on fait passer pour quelqu’un qui aimait bien boire, alors que s’il y avait quelqu’un de sobre….  (….) C’était Georges Viet, il a été tué en 44 par une bombe à Lormaye. (…) Autrefois je l’ai bien entendu car ce Monsieur Viet habitait près de chez mon oncle et ma tante, et combien de fois il a évoqué ses souvenirs, ce qu’il avait vu dans la nuit. »

A la maison de la presse nogentaise, en cet été 1928, c'est la ruée sur la presse dès qu'elle arrive. La fille du propriétaire de l'époque , Madame Marie-Thérèse Antoine née Metton, se souvient : "Il y avait un monde fou, nous racontait papa, et quand Georges Viet venait acheter son journal, Jean Quemin s'adossait régulièrement sur le mur d'en-face..... Histoire de........"

Tous les témoignages concordent : Georges Viet était un homme honnête. Célibataire. Jardinier. Ne s’adonnant pas à la boisson. Et qui a juste hésité à dire ce qu’il savait par peur de ……….. Jean Quemin.

 

Pont de l'Auge vu par Viet

Le Pont de l'Auge vu de la route de Coulombs

 

 

 

Le Pont de l'Auge gros plan-copie-2

  Le Pont de l'Auge en gros plan

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