Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Quand le Juge Hervé s'empare de l'affaire Seznec...

 

 

 

"On juge l'arbre à ses fruits"

Matthieu 7, 15-20

 

 

 

Le Juge Hervé et Guillaume Seznec

 

Depuis quelques jours, je n'en dors plus... Ou mal... Ou bizarrement... Huzo me trotte dans la tête. D'autant plus qu'il semble difficile, malgré l'aide demandée ici ou là, de savoir où il est né, où il est mort. Et comment il a fini son aventure sur l'affaire Seznec. 

 

J'avais du mal à concevoir comment Huzo avait repassé le flambeau à Hervé ? S'il l'avait toutefois repassé. Le flambeau.

 

Je cherchais cette lettre de Marie-Jeanne. Celle qu'elle avait adressée au juge Hervé. Je viens de la trouver. Elle date du 25 avril 1931. En voilà un extrait (pages 333 et 334 chez Denis Seznec, édition 2006) :

 

"Cher Monsieur Hervé,

Je suis hospitalisée d'urgence à l'hôpital Beaujon, les docteurs me connaissent, je suis déjà venue il y a deux ans environ. Cette fois, c'est grave, on prétend que je mourrai de privations. Hélas, il y a peut-être un peu de vrai, mais la fatigue et les humiliations y sont pour beaucoup (..) Les docteurs restent longuement près de mon lit, ils m'encouragent. Quand vous viendrez, on causera longuement. Je ne vois pas clair, je vous écris sur l'oreiller.

Votre toute reconnaissante Mme Seznec.

P.S. Ma fille est à Jersey depuis dimanche, elle ignore que je suis à l'hôpital."

 

Le juge Hervé accourra immédiatement à l'hôpital. Il craint qu'elle ne meure. Il lui parle longuement. A la fin de l'entretien, Marie-Jeanne aura cette seule exclamation que rapportera une infirmière : "Ah ! Maintenant je comprends tout !"

Quelques jours plus tard, Marie-Jeanne écrira une toute dernière lettre à Guillaume (...) où elle révèle à son époux : "Le juge Hervé m'a dit : la Ligue des droits de l'homme en prenant fait et cause pour Seznec dénonce d'autant plus la terrible injustice qui le frappe qu'elle connaît les magouilles de certains "frères" dévoyés qui sont à l'origine de vos malheurs."

 

Quand il annonce la mort de Marie-Jeanne à Guillaume, Charles Huzo précise qu'il lui a rendu visite à l'hôpital le 7 mai. Et que c'est lui qui a prévenu la famille, lors de son décès, le jeudi 14 mai 1931. Point n'est question du juge Hervé.

 

C'est vraiment du théâtre. L'un sort. L'autre rentre.

 

Charles Huzo écrit à Guillaume les derniers instants et la mort de Marie-Jeanne. C'est sans doute aussi lui (?) qui écrit l'article dans Le Quotidien du 16 mai 1931 : "Madame Seznec est morte".

 

Pourtant dans son livre "Le bagne", Denis Seznec reproduit une lettre de Huzo en page 226 :

 

"Paris, le 13 juin 1931

Mon cher Monsieur,

Je vous ai dit en quelques mots, la dernière fois, les commentaires qu'a provoqué ma campagne au Quotidien. Un petit journal de Rennes, La Province (...) a esquissé à son profit une manoeuvre (...) S'emparant des arguments que j'avais écrits sur cette affaire, sous la signature de X. Hervé, il les a reproduits en y ajoutant quelques petites digressions. Il révèla aussitôt l'affaire de Plourivo(...), en voici le résumé."

 

A cette lecture, on ne flaire guère la grande amitié entre Charles Huzo et le juge Hervé.

 

Bernez Rouz, avec son exactitude coutumière, nous apporte quelques éclaircissements (page 172) :

 

"Une campagne de presse virulente commence alors. Chaque semaine Victor Hervé, "ancien juge de paix de Pontrieux, ancien juge d'instruction du tribunal de Guingamp", signe un article dans le journal hebdomadaire La Province, journal ultra-catholique publié à Rennes. Inlassablement, il plaide l'innocence de Seznec. Cette campagne émeut la magistature qui suit l'affaire depuis le début. Le procureur de la République à Rennes, Guillot, celui qui demanda la tête de Seznec aux assises de Quimper, commente de façon peu amène les révélations de Victor Hervé : "J'ai l'honneur de vous faire parvenir ci-joint un numéro de La Province du jour contenant un second article sur l'affaire Seznec. Il m'a été indiqué que l'auteur de ce nouveau roman serait M. Hervé, ancien juge d'instruction à Guingamp dont le but serait non seulement d'attirer l'attention sur lui, mais surtout de mettre en cause M. Ollivier, procureur de la République à Guingamp, qui aurait été avisé des faits signalés et ne les aurait pas fait connaître" (Lettre au procureur général à Rennes, 5 mars 1931)"

 

Après, et bien après ne cherchez pas, parce que sur Charles Huzo : silence radio. Mais beaucoup d'autres émissions sur le petit nouveau : Charles-Victor Hervé !

 

 

http://pmcdn.priceminister.com/photo/873941217.jpg

 

 

Voilà comment nous le présente Denis Seznec, en pages 342 et 343 de son ouvrage :

 

"Pendant la guerre, Charles-Victor Hervé, qui n'était pas encore magistrat, s'était distingué en traquant espions et saboteurs en Bretagne (Note bas de page : Il était responsable dans le service de contre-espionnage pour l'ouest de la France, matricule n° 366268) Il faut savoir qu'au large de Tréguier, Perros-Guirec et Dinard, des sous-marins allemands refaisaient parfois surface pour venir se ravitailler en vivres et en mazout, grâce aux complices qu'ils possédaient dans la région. C'est Hervé qui était chargé de débusquer ces derniers. Comme toujours lorsqu'il s'agit de contre-espionnage, nous ne savons pratiquement rien de ces missions. Sans doute les tâches qu'on lui confiait devaient être de quelque importance, et menées avec efficacité, puisque, la paix revenue, il fut nommé magistrat bien qu'il n'en possédât pas les diplômes, cela à la demande de Georges Clemenceau. Plus tard le journal Aux Ecoutes écrira :

Peu de temps avant de mourir, Clemenceau, apprenant que le juge Hervé se consacrait à réunir les preuves de l'innocence de Seznec, parti pour le bagne, disait à ses amis vendéens : "Je n'ai aucune opinion sur ce malheureux Seznec, mais j'en ai une sur Hervé : c'est un preux."

 

Bernez Rouz a, lui, une toute autre opinion, qu'il nous livre dans son chapitre "La thèse du complot familial"  (pages 170 et 171) :

 

"Cette version est née d'une conviction fortement affirmée dans les années 1930 : celle de l'ancien juge Charles-Victor Hervé. Partant des coups de feu entendus à Traou Nez, il a imaginé le retour de Pierre Quéméneur dans son manoir, une dispute entre les deux frères, et la fabrication d'un faux en écriture pour accuser Seznec."

 

"En 1930 emporté par une enquête sur un certain Valoris, il lui arrive une aventure surprenante. Juge d'instruction, il se déguise en prêtre, en chauffeur de taxi et en policier pour traquer Valoris qu'il finit par mettre en prison. Mais il doit le libérer le lendemain en lui faisant des excuses. Peu après il a une vision : Sainte Thérèse de Jésus lui apparaît et lui ordonne de construire une chapelle. Le juge Hervé est alors mis au repos dans l'hôpital Saint-Méen à Rennes. A sa sortie, il quitte la magistrature."

 

En clair : on commence par un espion que Clemenceau va traiter de "preux" et on finit par la camisole de force. Avouez que tout cela est un peu confondant...  

 

Je ne vais pas raconter ici la piste de Plourivo/Traou Nez, j'en ai déjà parlé là :

 

Affaire Seznec : Et puis.. il y eut "Jaffré"...

 

Et aussi là :

 

Affaire Seznec : Caïn vs Abel en Plourivo

 

 

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Traou Nez

 

 

Les auteurs du blog "L'affaire Seznec revisitée", dans leur critique impertinente de "Nous les Seznec" écrivent en ce qui concerne la page 343 :

 

"... son portrait en début de son ouvrage "Justice pour Seznec" ne correspond pas vraiment à un "homme rond", mais ceci est anodin. Il y a plus ennuyeux, c'est cette forte adhésion à la religion catholique, est-ce vraiment le cas ? Le personnage est particulier, original, mais son éducation est bien éloignée des préceptes religieux, chez les Hervé de Pluzunet, la seule religion qui vaille est la République. Le père est instituteur, et la mère... institutrice, on ne peut mieux faire comme milieu laic. Ajoutons que le juge Hervé, dans sa défense de Guillaume Seznec, a essentiellement collaboré avec la Ligue des Droits de l'Homme, dont les adhérents dans les années 30 ne sont pas connus pour fréquenter assidument les églises..."

 

PLUZUNET.JPG

Maison natale du juge Hervé

 

 

Je vous engage vivement, tout en prenant d'un côté le livre de Denis Seznec, à aller lire toute la suite concernant le petit juge sur leur blog en cliquant ici : link

 

En clair et non crypté, le juge Hervé était très certainement franc-maçon. Et on ne peut que s'étonner de ce curieux dédoublement de personnalité (schizophrénie ?) qui le fait se déguiser en prêtre et demander à faire construire une chapelle ? Et écrire dans un journal ultra-catholique au sujet d'une piste défendue par la Ligue des Droits de l'Homme ???

 

Et vous voudriez que j'accorde une once de crédibilité à sa curieuse enquête ?

 

Ce qui m'intrigue plus c'est sa prise de position en force sur l'affaire. Qui va durer de 1931 à 1950 (année de sa mort). Et où (vous pouvez chercher) vous ne trouverez guère d'autres thèses pour le contredire ou pour faire avancer l'affaire. On est même infoutu de trouver le nom de l'avocat de Guillaume dès que Hervé arrive. Car c'est Hervé et Hervé seul qui devient alors le grand gourou de la réhabilitation...

 

C'est une mainmise totale sur l'affaire. Mais dont la théorie, malgré ses failles démontrées, compte encore aujourd'hui de nombreux adeptes.

 

Charles Huzo a disparu. Maurice Privat a été condamné à la place du juge Hervé et l'a définitivement bouclé. Comment peut-on accorder sa confiance à quelqu'un d'aussi fragile psychologiquement ? Et qui n'est jamais allé au bout d'une seule des enquêtes qu'il a entreprises sur l'affaire elle-même (là je ne parle pas des marées du Trieux mais de la B.P.C. et autres...)

 

Il faudra donc attendre sa mort (et celle de Guillaume) pour que Claude Bal écrive son livre en développant sa thèse sur la bande du café "Au Tambour".

 

Là, c'est clair, je ne comprends pas tout. Mais je ne demande qu'à comprendre...

 

Liliane Langellier

 

 

http://www.bretagnenet.com/strobinet/seznec/herve.jpg

 

On peut lire le livre du juge Hervé en cliquant ci-dessous :

link

 

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G
<br /> Hervé est né en 1892, il échappe à la mobilisation en première ligne. A-t-il eu une si intense activité de contre-espionnage pendant le conflit ? Je connais les rumeurs de ravitaillements<br /> des submersibles allemands sur les côtes françaises, du côté de Diélette, en Basse-Normandie, principalement. Un spécialiste de la guerre sous-marine en Bretagne, contacté il y a quelques mois<br /> s'est étranglé aux assertions de Denis Le Her, confirmant quelques épisodes en Irlande, où des moutons faisaient les frais des virées teutonnes mais contredisant, avec vigueur, notre sémillant<br /> historien. (à voir).<br /> <br /> <br /> Clémenceau meurt le 24 novembre 1929, est-il au courant du combat à venir d'Hervé ?<br /> <br /> <br /> Dans l'instruction pour diffamation envers Loth, le juge Hervé poursuit Valoris et finit par mettre les deux hommes dos à dos. Son héros est alors le lieutenant de vaisseaux Lair, mort ruiné, que<br /> les deux lascars auraient dépouillé de ses brevets. Dans cette réhabilitation, du marin-inventeur, Hervé aurait reçu le soutien du contre-amiral Audouart et le matricule n°366268 qui ne pleure<br /> jamais avait les larmes aux yeux quand le préfet maritime lui disait, ému lui-même, en lui serrant les mains très fort : « Monsieur vous êtes un brave ».<br /> <br /> <br /> Hervé quitte la magistrature en 1931 (il a 39ans), il a indéniablement quelques comptes à régler et il ne s'en cache pas, il range le procureur Ollivier parmi ses ennemis. Le juge Hervé est<br /> inamovible dit-il ; Lorgeré, Loth, Daladier, Nicol, Morel, Trochu, Ollivier donc, Dubost doivent le savoir........<br /> <br /> <br /> Loth est un cousin de Chautemps....<br /> <br /> <br /> Je ne pense pas qu'Hervé était franc-maçon. Peut-être a-t-il reçu une éducation laïque mais en 1930 il est en pleine crise de mysticisme et quand dans sa fuite il reçoit la visite de Sainte<br /> Thérèse de l'Enfant Jésus, parrainée par la Vierge, en personne, et par Ste Anne, lui commandant, en ce lieu, ici, une chapelle pour l'honorer il cède un moment au découragement : « il<br /> ne manquait plus que cela. Je me suis déjà promis de faire reconstruire celle de Kermaria en Squiffiec !.... ».<br /> <br /> <br /> Hervé trouve une tribune à Rennes, au journal La Province et commence sa campagne., Le directeur, est plus qu'ultra catholique, pour lui l'abbé Trochu est limite gauchiste, Delahaye est<br /> anti-juiverie, anti-maçon, je le vois mal publier les écrits d'un 'frère'.... même pour augmenter les ventes de son hebdomadaire ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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