Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : Lormaye : 1929 : Jugement du procès Quemin

 

 

 

 

 

 

 

« Il y a deux sortes de justice :

vous avez l’avocat qui connaît bien la loi,

et l’avocat qui connaît bien le juge ! »

Coluche

 

 

 

LE GLAIVE ET LA BALANCE

 

 

QUEMIN-PROCES-FAIT-GRAVE-copie-1.jpg

 

 

Audience publique de Police Correctionnelle du Tribunal de Première Instance d’Eure-et-Loir, du vendredi quatre janvier mil neuf Cent Vingt Neuf, où siégeaient MM. Dagassan, Président, Chevallier et Reige juges en présence de M. Lansier, le Procureur de la République, assisté de M. Vallée, greffier.

 

Entre 1° Jean Quemin père, propriétaire à Lormaye ; Jean-Louis Quemin fils, marchand de bestiaux à Chandres, demandeurs par Me Maurice Garçon, avocat à la Cour d’Appel de Paris assisté de Me Roussel, avoué à Dreux.

 

Et 1° Hégu Edouard, Louis, Pierre, 42 ans, né le 5 novembre 1882 à Louvaines section d’Angers (Maine et Loire) fils d’Auguste Louis et de Prodhomme Marie-Augustine, gérant, sans domicile connu, jamais condamné.

Prévenu de diffamation. Libre défaillant.

Huzo Charles, rédacteur à Paris 53, rue de Rome, sans autres renseignements.

Prévenu de diffamation. Libre comparant assisté de Me Marcel Kahn avocat à la Cour d’Appel de Paris.

La société L’Ere Nouvelle prise comme civilement responsable de ses gérant et rédacteur dont le siège est à Paris 53 rue de Rome.                Défaillante.

Bardinal François 61 ans né le 10 décembre 1867 à Voutezac, arrondissement de Tulle Corrèze, fils de Pierre et de Anne Bardinal – gérant du journal L’Ere Nouvelle dont le siège est à Paris, 53, rue de Rome 1 C 53 F. Prévenu de diffamation. Libre – défaillant.

Viet Georges, Sulpice, 54 ans, né le 21 mai 1874 à Lormaye arrondissement de Dreux (Eure-et-Loir) fils de Nicolas Isidore et de Elisabeth Larue, domicilié à Lormaye.

Prévenu de diffamation. Libre. Comparant assisté de Me Cochinal avocat.

6° Et : Patrice Pierre Marie François 47 ans né le 28 avril 1881 à Pommeret arrondissement de Saint-Brieuc (I et V), fils de Benoît et de Marie-Françoise Malargé – journalier à Lormaye – jamais condamné.

Prévenu de diffamation. Libre. Comparant assisté de Me Tony Truc, avocat.

 

A l’appel de la cause Me Maurice Garçon avocat et Roussel avoué ont exposé l’affaire ; ensuite il a été procédé à l’audition hors la présence l’un de l’autre des témoins régulièrement cités, avant de déposer les dits témoins ont fait serment de dire toute la vérité et rien que la vérité ; Les prévenus Huzo, Viet et Patrice ont été interrogés, le greffier a tenu note des déclarations des témoins et des réponses des prévenus. Le Ministère Public a requis contre les prévenus l’application de la loi pénale. Les prévenus ont présenté leurs moyens de défense.

 

Puis le Tribunal après en avoir délibéré conformément à la loi a statué en ces termes :

 

Sur la forme

Attendu que les sieurs Edouard Hégu et François Bardinal pris en leur qualité de gérants de la feuille quotidienne L’Ere Nouvelle au moment de la publication des articles et la société propriétaire du journal L’Ere Nouvelle appelée comme civilement responsable ne se présentent pas.

Que le Tribunal doit en conséquence donner défaut contre eux.

 

Au fond :

Attendu en ce qui concerne la poursuite en diffamation et injures intentée contre les deux gérants susnommés (le premier publication des articles des mois d’août et septembre 1928, le second des articles d’octobre 1928, et contre le sieur Huzo rédacteur des articles incriminés pris en leurs qualités respectives d’auteur principal et de complices.

 

Attendu qu’à la date du mois d’août 1928, le sieur Huzo, homme de lettres et rédacteur à L’Ere Nouvelle installé pour un certain temps dans la région de Nogent le Roi et à la recherche d’un sujet de roman, rédigea sur les bruits qui couraient dans la région et notamment sur les dires de certains habitants des communes avoisinantes de ce chef-lieu de Canton, un certain nombre d’articles qui furent insérés dans le journal L’Ere Nouvelle.

Que les dits articles sont parus les 13 et 17 août, 1er septembre, 8 – 9 et 10 octobre 1928, dans les numéros 3919 – 3922 – 3937 – 3974 et 3975 de la feuille « L’Ere Nouvelle ».

 

Attendu qu’il résulte des débats que ces numéros ont été vendus et répandus à Nogent-le-Roi et dans toute la région ;

Que ces articles prétendaient apporter des éléments nouveaux à une affaire jugée quelques années auparavant par la Cour d’Assise du Finistère et relative à l’assassinat du sieur Quemeneur.


Attendu que les dits articles mettaient nettement en cause, comme ayant pris une part plus ou moins active à l’assassinat le sieur Quemin, marchand de bestiaux à Lormaye et son fils.

Que les sieurs Quemin étaient désignés dans ces articles par l’initiale Q…, et que la désignation était des plus apparentes pour tous les habitants de la région.

 

Attendu que ces articles, et étant donné le but, poursuivi par le journaliste, d’arriver à une révision du procès jugé par la Cour d’Assises du Finistère, les allégations injurieuses et diffamatoires se retrouvent à chaque page, que les faits les plus précis et les plus graves sont imputés aux sieurs Q…, sur le dire de témoins qui ont été dans la suite convaincus d’avoir mal vu ce qu’ils croyaient avoir vu, ou d’avoir été mal renseignés.

 

Attendu que Huzo n’a pas craint d’affirmer que « c’était à Lormaye que le mystère résidait » (article du 17 août) de publier une réponse de Quemin père, sous le titre injurieux : une lettre de M. Q… ; et d’écrire (article du 8 octobre) qu’il avait reçu un témoignage accablant par ses précisions ; de reproduire (article du 10 octobre) le récit gravement diffamatoire pour Quemin père et fils de Patrice.

Qu’ainsi le tribunal ne peut que retenir l’inculpation de diffamation et d’injures portée contre les trois prévenus.

En ce qui concerne les sieurs Viet et Patrice poursuivis comme complices pour avoir fourni les renseignements dont le sieur Huzo a fait usage.

 

Attendu que tant pour les auteurs principaux que pour les complices, l’intention de nuire est indispensable pour constituer le délit d’injure ou de diffamation.

Qu’il y a lieu de remarquer dans l’espèce actuelle que les deux prévenus ont raconté à Huzo ce qu’ils avaient cru voir ou savoir, sans se rendre un compte suffisant des conséquences de leur bavardage.

Qu’au moment de leur récit ils pouvaient ignorer l’usage que le journaliste allait en faire et qu’il y a lieu en conséquence de décider que l’intention de nuire aux sieurs n’est pas assez clairement établie en ce qui les concerne et de les relaxer sans dépens.

 

Sur le préjudice :

Attendu que le préjudice souffert par les sieurs Quemin est certain mais qu’il y a lieu de tenir compte que dans la région de Nogent-le-Roi on n’a prêté qu’une attention assez mitigée aux dires du journaliste.

Que les impossibilités matérielles des récits fantaisistes que le sieur Huzo a eu le tort d’accepter dès l’abord et qu’il résulte d’une pétition des habitants de la région de Nogent-le-Roi que le sieur Quemin père continue de jouir de la réputation d’un homme incapable de commettre une action malhonnête.

Que dans ces conditions il y a lieu de réduire dans une certaine mesure la somme réclamée à titre de dommages et intérêts, la principale réparation consistant dans les insertions sollicitées.

Que le Tribunal croit avoir fait bonne justice en allouant aux demandeurs une somme de cinq mille francs.

 

Par ces motifs, Le Tribunal : Vu les articles 42.43.29.32,33 de la loi du 29 juillet 1881,

 

Prononce défaut contre les sieur Edouard Hégu et François Bardinal et contre la société propriétaire de L’Ere Nouvelle.

 

Acquitte les sieurs Viet et Patrice des fins de la poursuite sans dépens.

 

Et statuant en ce qui concerne les trois autres prévenus :

Condamne Hégu et Bardinal, contre lesquels défaut vient d’être prononcé, et Huzo, ce dernier contradictoirement à la peine de cinquante francs d’amende chacun.

 

Condamne en outre les dits sieurs Hégu et Bardinal, tant en leur nom personnel qu’es qualité Huzo, solitairement entre eux, à payer aux sieurs Quemin père et fils conjointement partie civile, la somme de cinq milles francs à titre de dommages intérêts, les condamne également, sous la même solidarité, en tous les dépens et ce, à titre de suppléments de dommages intérêts dont distraction auprès de Me Roussel avoué qui l’a requise sous les affirmations de droit.

 

Autorise en outre les sieurs Quemin père et fils, aussi à titre de supplément de dommages intérêts à faire publier le présent jugement aux frais de Hégu et de Bardinal es qualités et de Huzo solidairement entre eux, dans les journaux ci-après :

 

1° L’Ami du Peuple à Paris.

2° Les Annales politiques et littéraires à Paris.

3° Le Populaire de Paris.

4° Le Matin à Paris.

5° L’Action Républicaine à Dreux.

6° La Tribune Républicaine à Dreux.

7° La Vérité d’Eure-et-Loir à Chartres et à Dreux.

8° La Dépêche d’Eure-et-Loir à Chartres.

9° L’Indépendant d’Eure-et-Loir à Chartres.

 

Déclare la société L’Ere Nouvelle, civilement responsable des condamnations qui viennent d’être prononcées.

 

Et Vu la loi du 22 juillet 1867 fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Ainsi prononcés les jours, mois, et au susdits.

 

Suivent SIGNATURES.

 

 

Pour insertion dans L'Action Républicaine, voir en bas de page l'article :

Le procès des Quemin : décembre 1928

 

 

 

Holmes-Image-Loupe

 

"Elementaire, mon cher Watson !"

 

 

 

NDLR (Note De La Rédaction) :


- Je tiens tout d'abord à remercier ici la patience et l'amabilité des employées des Archives Départementales de Chartres qui m'ont largement aidée à trouver ce compte-rendu de jugement.


- Je souhaite apporter quelques réflexions personnelles à la lecture du dit compte-rendu :


1. C'est avec surprise que je découvre qu'une pétition a été faite à Lormaye pour certifier que les Quemin étaient des gens courtois, aimables et surtout sans problèmes. Que voilà donc une vaste plaisanterie !

Lire les différents témoignages concernant Jean Quemin sur Qui était Jean Quemin ?

Les Quemin étaient d'ailleurs si courtois et si aimables, que ce même samedi 22 décembre 1928 se déroule un autre procès : "Charles Doucet vs Jean-Louis Quemin". Où ce dernier est accusé d'avoir publiquement traité M. Doucet "de grand fainéant et de grand fumier" dans la salle du café de Nogent-le-Roi, le samedi 13 octobre 1928. Il sera condamné pour diffamation et devra payer au plaignant la somme de trois cent francs à titre de dommages intérêts !

 

DSCF0046


2. C'est aussi avec surprise que je découvre qu'à aucuns moments le nom de Guillaume Seznec n'a été prononcé. On parle de Quemeneur mais on stipule juste : "un procès jugé par la Cour d'Assises du Finistère".


3. Charles Huzo et L'Ere Nouvelle ont été condamnés. Soit. Mais quid de L'Action Républicaine de Maurice Viollette ? Premier journal à avoir commencé ses articles dès le samedi 28 juillet 1928. Qui a aussi parlé du témoignage "d'un ouvrier agricole" dans sa parution du samedi 13 octobre 1928.

Voir article : Les journalistes en 1928 et la piste de Lormaye


 


Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
1
<br /> Ma foi, tout ceci est très intéressant et permet d'entrevoir un début d'explication du comment en attendant d'autres éclaircissements pour tenter de percer le pourquoi, même si on a déjà une vague<br /> idée. Si les spécialistes de l'automobile ancienne américaine font le détour par ce blog, ils se rendront peut-être compte de la vacuité de leur démarche et du ridicule de leur position.<br /> <br /> <br />
Répondre