4 Juin 2014
"Saisir la malle du blond."
Paul Eluard
La malle de Lencloître. Vous n'en aviez jamais entendu parler. Moi non plus.
Sauf que la différence désormais entre vous et moi, c'est que moi je connais l'histoire. Mais comme je vais vous la raconter... Nous serons à égalité !
Il était une fois...
Il était une fois, bien avant l'époque des réseaux sociaux et des chaines télé en continu, il était une fois une station radio que les Français écoutaient beaucoup. Europe 1.
Il était une fois, bien avant Le Grand Journal et sa Dora Tillier, il était une fois une voix dans cette radio qui captivait ses auditeurs : Pierre Bellemare.
Il était aussi une fois... Marcel Jullian... Puis Denis Le Her... Et ainsi furent élaborées les émissions de Janvier 1979 sur l'affaire Seznec. Que l'on inséra dans "Les grandes enquêtes d'Europe 1". Emissions qui occupèrent les ondes et agitèrent les esprits du lundi 15 janvier au samedi 27 janvier 1979.
La France entière se sentit concernée. La France entière eût envie de venir en aide à ce malheureux petit-fils et à son défunt papy bagnard. La France entière fit exploser le standard d'Europe 1. Ou presque.
Mais, en coulisses, le jeu était très encadré. "Tous les matins, entre 7 heures et 7 h 30, Philippe Gildas, dans son journal, exposait les questions auxquelles les auditeurs pouvaient répondre par leurs souvenirs, leurs archives ou leurs témoignages. A partir de midi, ils téléphonaient. De 13 h 30 à 14 heures, Pierre Bellemare et Marcel Jullian racontaient l'histoire. puis on faisait intervenir les interlocuteurs, en direct, ou sur bande magnétique si l'équipe les avait précédemment interrogés." in Denis Seznec en page 439.
Voilà comment Marcel Jullian décrit l'opération du débarquement "OverSeznec" en page 9 de son livre : "Un historien peut travailler vingt ans, consacrer une vie active tout entière à un sujet. A force d'obstination, de sérieux et d'organisation, il recueillera au mieux deux mille témoignages prudents. En douze jours, la radio - anonyme et immédiate - suscite deux mille témoignages ardents. C'est extraordinaire. On assiste à une véritable mobilisation. Le standard téléphonique menace de sauter. Et cette ferveur, cette impatience, cette adhésion ne se manifestent hautement que lorsque nous sommes, nous-mêmes, au micro. Pierre Bellemare, maître-éveilleur, Denis Le Her, le petit-fils indomptable et moi, simple quêteur de vérité, nous sommes, que nous le voulions ou non, l'émotion."
En fait, la réalité fut toute autre... Car....
... N'allez pas vous imaginer pour autant que tous les sujets abordés par les auditeurs le furent à la radio. Tout était déjà bien défini d'avance. Et surtout la grille des questions posées. Ainsi zéro commentaire sur la piste de Lormaye. Alors que des Lormaisiens ont téléphoné. Vous me direz : on s'est largement rattrapé depuis. Et je ne démentirai pas. Mais zéro commentaire aussi sur l'histoire d'une étrange malle qu'une certaine Madame Bataille essayait vainement de faire passer à l'antenne. Mais celle-ci, elle n'a pas lâché le morceau...
Et là, comme tous les non dits, cela devient intéressant. Car je parie volontiers ma chemise en jeans Ralph Lauren qu'aucun d'entre vous n'avait entendu parler de la malle de Lencloître auparavant. Alors on va en parler. On va d'abord exposer les faits. Puis après on commentera.
"En janvier 1979, à l'occasion de l'émission de Pierre Bellemare sur Europe 1, Madame Bataille, alors commerçante à Sancergues, dans le Cher, téléphone et demande à parler à Denis Le Her. Elle lui dit qu'elle a rencontré son grand-père Guillaume Seznec en décembre 1948 et qu'elle pense savoir où se trouve le cadavre de Pierre Quemeneur et les papiers que Seznec avait préparé pour sa réhabilitation. Il les a enterrés dans le jardin de la maison où il habitait alors. Elle lui annonce qu'elle écrit un cahier où elle révélera tout ce qu'elle sait.
Lettre de Mme Bataille à Pierre Bellemare
En octobre 1979, Me Etienne Gouvernel remet officiellement le cahier annoncé par Mme Bataille à l'avocat des Seznec : Me Denis Langlois. Il confie ce document d'une centaine de pages le 12 novembre 1979. Mme Bataille y raconte que, jeune employée dans la boutique de M. et Mme X, commerçants à Lencloître (Vienne), elle a assisté les 19 et 20 décembre 1948 à une scène surprenante. Guillaume Seznec s'est déplacé de Bretagne pour rencontrer son patron, M. X, compagnon de la guerre de 14-18. Il venait rechercher la malle qu'il lui avait confiée en mai 1923 et qui contenait pas moins que le cadavre de Quemeneur et différents papiers. Quemeneur serait mort accidentellement à Paris ou dans la région parisienne, à la suite d'une dispute ayant mal tourné avec Gherdi que Mme Bataille qualifie de "vendeur" et de "Français d'origine syrienne". S'estimant responsable de cette tragique rencontre, Seznec aurait décidé de placer le cadavre au fond d'une malle et de cacher celle-ci chez M. X, dans une pièce au-dessus de son garage, en envisageant de venir la rechercher quinze jours plus tard pour l'enterrer à Plourivo. Son arrestation ne lui aurait pas permis de le faire. Les retrouvailles de Seznec et de M. X en 1948 ont lieu devant Mme Bataille, jeune fille âgée alors de 18 ans, pour qu'elle puisse, selon les deux hommes, témoigner plus tard de ce qu'elle a vu et entendu. Seznec indique l'endroit de Bretagne où il envisage, dans un puits spécialement creusé, d'enterrer la malle funèbre. Il repart le lendemain 20 décembre 1948 et revient au début de janvier 1949 pour emmener en Bretagne, en voiture, la malle et son contenu.
Extrait du journal de Mme Bataille
Un rebondissement se produit en 1984. Mme Bataille trouve l'adresse de Bernard Le Her et lui téléphone pour lui confirmer ce qu'elle a écrit dans son cahier. Bernard Le Her lui rend visite à Sancergues et relate son entretien à Me Langlois. Il pense que c'est peut-être une bonne piste...
Le 17 janvier 1986, les deux frères Le Her, accompagnés de leur avocat, se rendent à Sancergues pour y rencontrer Mme Bataille et voir si ses révélations peuvent correspondre à certains points du dossier.
Mme Bataille confirme une nouvelle fois son récit. Et donne quelques précisions. En décembre 1948, Seznec aurait été conduit à Lencloître en voiture par Gherdi qui se rendait dans la région de Limoges et était accompagné de sa femme et de sa fille âgée de 15-17 ans. Il aurait reconduit Seznec le lendemain à Paris. De même, c'est avec lui qu'en janvier 1949, Seznec serait revenu pour emmener la malle. Par ailleurs, selon Mme Bataille, une perquisition aurait été menée en vain par un commissaire nommé Bonnet.
Mme Bataille révèle un autre élément nouveau : Ce n'était pas la première fois en mai 1923 que Seznec rendait visite à son ami X. Il était venu précédemment, à l'époque de la Pentecôte, et était resté trois jours à Lencloître. Il avait l'intention d'acheter la voiture de X. (Celui-ci se l'était-il procurée au camp militaire américain de Romorantin distant de 140 kilomètres, là où Gherdi avait précisément travaillé comme chauffeur en 1920 ?).
Au retour de Sancergues, une scène extrêmement violente oppose Denis et Bernard Le Her. Denis reproche à son frère d'avoir loué un engin de terrassement et effectué à son insu des fouilles à la ferme de Rudeval, près de Riec-sur-Belon, pour essayer de retrouver la fameuse malle. Il n'a rien trouvé, mais Denis l'accuse de "traîtrise", pour être intervenu dans l'affaire, alors que c'est lui, le petit-fils désigné, qui en est chargé."
Voilà, vous avez l'histoire de la malle. Une hypothèse pas plus cinglée qu'une autre. Dans une affaire qui en a vu des vertes et des pas mûres...
Une hypothèse qui suppose quand même :
- que Seznec et Gherdi se connaissaient,
- que Gherdi, en plus de son fils, aurait eu une fille (ou une fille de sa seconde femme qu'il épouse en 1947),
- que le trafic des Cadillacs aurait existé (ou tout au moins l'arnaque au trafic). Sinon quel intérêt pour Pierre Quémeneur de rencontrer Gherdi,
- que Seznec, avec sa Cadillac pourrave à pannes aurait fait un détour de 500 km entre le 26 et le 27 mai 1923 (oui, j'ai essayé tous les chemins, et ils ne mènent pas à Rome, croyez-moi !)
- que Madame Bosser aurait pu être au courant (Rudeval, vous vous rappelez, chez les Berthou, là où Guillaume se réfugie après quelques mois épouvantables à côtoyer Le Her chez lui),
- que Jeanne Seznec aurait été obligatoirement au courant d'une absence ou d'un voyage de son père en une période (décembre 1948) où il vit avec elle et les enfants dans la maison de Plourin Ploudalmezeau. En attente du procès de Jeanne. Après le meurtre de François Le Her.
Une hypothèse qui nous révèle :
- que, selon la chanson de Jacques Dutronc, "On nous cache tout, on nous dit rien". Car je défie quiconque d'avoir lu une ligne quelque part (presse ou bouquins) sur cette histoire de malle. Puisqu'il aura fallu attendre le blog de Me Denis Langlois pour attirer notre attention sur Dame Bataille, sa malle et son journal. Même si, intriguée et après recherches, j'ai trouvé un court paragraphe en page 423 de son livre (1988), juste après l'évocation de la piste de Sion-les-Mines,
- que Bernard Le Her essayait, en vain, lui aussi, de participer à la réhabilitation de son grand-père. Mais que son petit frère ne lui en laissait guère l'occasion.
Guillaume Seznec et son petit-fils Bernard.
Archives de Me Denis Langlois
L'affaire Seznec a trop longtemps ressemblé au "Vertigo", ce Club mode de downtown Los Angeles, fin des années 80. Un immense et très laid carré de béton. Posé sur un immense et très laid parking. Avec des gardes postés sur le toit. Et où il ne suffisait pas de rentrer, encore fallait-il obligatoirement consommer aux bars "Cadillac", "Dollars Or" ou "Traou Nez". Tout le monde s'y pressait. Même une certaine princesse. Ce qui ne l'a pas empêché de faire faillite.
Alors, quoi ? Me direz-vous. Et bien, c'est tout simple : qui cache un oeuf cache un boeuf. Et je ne serais pas surprise qu'un jour ou l'autre, à la mode Bygmalion, une autre histoire nous tombe du haut de l'armoire. Mais une histoire qui finira peut-être par nous ouvrir l'armoire définitivement.
Comme prévu, je me fais la malle (si, si...)
Liliane Langellier
P.S. Suite à ces émissions radio, un mois et demi plus tard, le 13 mars 1979, Marcel Jullian en profite pour publier son bouquin.
Livre qui ne fera pas bouger l'affaire Seznec d'un iota.