Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

L'affaire Seznec et les imaginatifs

 

"Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton."

Gaston Bachelard

 

 

 

 

C'est aujourd'hui la Saint Joseph. Un rapport avec l'affaire Seznec ? Pas vraiment. Mais avec moi, oui. J'aime beaucoup Saint Joseph. Dès l'enfance, je fus mise en pension à Saint Joseph du Parchamp (Boulogne sur Seine). Et chaque 19 mars était jour de grande fête pour nous. Nous avions même le droit d'aller en rangs serrés et en unifome d'apparat au cinéma "Le Royal" voir la série des "Sissi". Epoque bénie des genoux cagneux et des nattes de travers.

 

C'est aujourd'hui la Saint Joseph. Et je viens de lire cet article sur La Dépêche de Brest du 2 mai 1932. Eclairant s'il en est. Sur Charles Huzo et sur Charles-Victor Hervé. Je vous laisse le découvrir.

 

L'Affaire Seznec et les imaginatifs

 

par Charles Chassé

 

 

Je ne suis ni pour ni contre Seznec. Comment pourrais-je honnêtement prendre parti puisque je n'ai pas eu le dossier complet entre les mains et que ceux à qui la chose est arrivée ne se sont pas tous arrêtés aux mêmes conclusions.

 

Ce sur quoi, je pense, on pourrait se mettre d'accord, c'est sur le point suivant : comme il était presque fatal, dans une affaire tentaculaire comme celle-là et dont on ne soupçonnait pas, au temps du procès,tous les prolongements (la politique elle-même n'a pas été absolument étrangère au procès), un certain nombre de témoins, dont la déposition eût pu influencer le jury dans un sens ou dans l'autre, n'ont pas été interrogés ou, s'ils l'ont été, ils ne se sont décidés que plus tard à confesser certains détails. Au cours de ces dernières années et surtout de ces derniers mois, des faits nouveaux sont incontestablement venus à la lumière, quoique la Chancellerie, d'ailleurs très rétive par principe sur ce chapitre, ne les ait pas jusqu'ici jugés assez graves pour entraîner un supplément d'enquête.

 

J'ajouterai que les Seznecistes agiraient sans doute sagement, dans l'intérêt de leur protégé, en demandant, pour le moment, sa grâce plutôt que la révision immédiate de l'affaire. Cette grâce, la Chancellerie l'aurait peut-être déjà accordée si l'on s'était contenté de lui présenter, avec une lucidité froide et impartiale, les arguments qui seraient de nature à faire planer un doute sur la culpabilité du condamné de Quimper. Les Seznecistes malheureusement se sont trop souvent montrés trop passionnés, trop imaginatifs. "Les nerveux s'attirent" a dit Charcot. Les imaginatifs aussi et, de plus, ils sont attirés irrésistiblement par certaines affaires comme l'affaire Seznec dont l'aspect est trouble et énigmatique. Ce qui me parait surtout étrange, c'est que, jusqu'ici, comme dans d'autres affaires célèbres, il ne se soit pas trouvé de gens qui se soient gratuitement accusés d'avoir commis le crime, quoiqu'il fût matériellement impossible qu'ils l'eussent commis. Pour le moment, on s'en tient - et ceci est peut-être plus lourd de conséquences - à accuser les autres. Et ceci me semble d'autant plus inquiétant que les chercheurs ne sont pas toujours de la même opinion et qu'ils prennent à parti des personnes différentes. Sous prétexte de sauver un innocent (but très louable), ils risquent de commettre une erreur judiciaire au moins aussi grave que celle qu'ils reprochent à la justice, puisqu'ils mettent en cause d'autres personnes ou certainement innocentes, ou tout au moins dont la culpabilité ne pourrait être prouvée qu'après de longs débats.

 

Un de ceux qui, les premiers se sont occupés de la révision Seznec, M. Huzo a durement expié devant les tribunaux l'accusation qu'en toute bonne foi il avait lancé contre des habitants de Lormaye en Eure-et-Loir (il avait d'aileurs suivi cette piste en complet accord avec Mme Seznec). Peut-être que certains de ceux qui ont lu alors avec sympathie les articles de M. Huzo se seraient-ils méfiés de son esprit critiques, s'ils avaient connu la carrière littéraire, très honorable, je m'empresse de le dire, de notre confrère, mais qui ne le destinait nullement à s'improviser juge d'instruction.

 

Tout à fait par hasard, j'ai trouvé dans l'Almanach des Lettres Françaises et Etrangères pour 1924 cette magnifique encyclopédie qu'avait entreprise Léon Creich (Crès, éditeur, 21, rue Hautefeuille, avril, mai, juin) une longue biographie de Charles Huzo, édifiée par des documents fournis par lui et dont je détache quelques passages éclairant divers épisodes de sa vie imaginative :

 

"Charles Huzo resta muet et paralysé des deux jambes jusqu'à cinq ans... Le goût de l'étude lui vint brusquement du jour où il dut quitter l'école. Toutes ses nuits, il les passa dans la petite ferme où il travaillait, à lire des livres de tout genre qui pouvaient lui tomber sous la main. Apprit ainsi le latin. A vingt ans, il connaissait les classiques comme peu de jeunes hommes de lettres, plus favorisés par le sort, peuvent se vanter de les connaître. Mais ce qu'il y a de plus pittoresque c'est la façon dont il vint aux lettres. Laissons-lui la parole :

- Un jour, nous conte M. Huzo, le spectre de Victor Hugo m'apparut et m'entretint. Il revint les jours suivants pour m'engager à embrasser la carrière des lettres. Je craignis d'être victime d'une hallucination ; mais la confirmation m'arriva par d'autres voies, par celles, principalement d'amis qui ne se doutaient de rien. Je pris bientôt goût à ces entretiens. J.-J. Rousseau, de Maistre, E. Zola, etc. vinrent aussi. Enfin, je me décidais à écrire un livre. Il parut deux ans après en 1912 chez Bernard Grasset, sous un pseudonyme : c'est un roman historique : Les Criminels... Il ne valait que par l'imagination dont j'y faisais preuve ; le style était décousu et il y avait trop de digressions. Sur les conseils de Victor Hugo, je vins à Paris en 1913... La guerre arrivée, je m'engageais... Blessé à trois reprises : six blessures. La dernière : une balle reçue à Verdun... me traversa la tête de part en part et faillit me laisser paralysé... Depuis j'ai travaillé à quatre romans : Les surprises du coeur, Yolande, Les Eternelles emmurées, Hermaphrodite."

 

C'est M. Huzo, je crois, qui, le premier, après une visite à Houdan, avec Mme Seznec, en revint avec l'histoire d'un coup de téléphone mystérieux que Pierre Quéméneur aurait donné au Plat d'Etain pendant le repas.

 

D'après M. Maurice Privat (I) Seznec a déclaré depuis qu'il se souvenait en effet que Pierre Quéméneur avait été pendant le repas du Plat d'Etain, appelé au téléphone.

 

Après M. Huzo, est venu M. V. Hervé. que les circonstances ont conduit à signaler, comme magistrat, au Parquet, le fait nouveau le plus important de l'affaire Seznec : l'incident de Plourivo. L'information reçue alors par lui l'a aiguillé vers une piste nouvelle et par conséquent vers la mise en accusation d'un nouveau personnage qu'il ne cite pas, mais dont on devine le nom. Il a apporté des documents intéressants ; il les a liés entre eux de façon fort attachante ; mais, que l'esprit critique soit contrarié, chez lui, par des tendances imaginatives, voilà qui n'est pas niable. Ce sont même ces tendances imaginatives très prononcées qui ont fourni un prétexte à ses supérieurs quand, excédés par le zèle, à leur avis, désordonné qu'il avait déployé au cours de diverses enquêtes judiciaires, ils le firent enfermer dans un asile d'aliénés par une sorte de lettre de cachet. "Fatigué, surmené, - écrit lui-même M. Privat, qui professe une grande admiration pour les talents de détective de l'ancien juge - Charles-Victor Hervé avait besoin de repos et ses chefs auraient du l'obliger à prendre un congé réparateur. Ce magistrat adorait mener des enquêtes. Il n'attendait pas le résultat d'une commission rogatoire et courait lui-même aux renseignements, féru de son métier, ne se fiant qu'aux résultats acquis directement par lui. Il dormait mal, ce qui lui donnait une nervosité qu'un peu de calme, un bon régime auraient fait disparaître. On préféra ordonner son internement dans un asile d'aliénés."

 

Un fait brutal demeure, c'est que, comme M. Huzo, M. Hervé possède cette faculté peut-être enviable, de voir des êtres qui ne sont pas de chair et d'os. Dans son livre : "Debout, magistrats de France " (éditions Hervé, place Renan, à Tréguier), Hervé relate une "vision" (le mot est de lui) qu'il eut de saint Thérèse de Lisieux, au moment précisément de sa séquestration et, cette vision, il ne la traite pas même aujourd'hui en vision de fièvre puisque c'est depuis lors - dit-il - qu'il a la certitude d'un au-delà.

 

"Il faisait sombre - écrit-il - et mon réveil dut suivre de peu le moment où je m'étais endormi. C'est ici que se place pour moi une vision, oui, une vision. Je l'appelle ainsi parce que je ne trouve pas d'autre nom... Je suis sûr d'être éveillé. On pourra l'apprécier comme on voudra... Je ne demande pas à ceux qui liront d'en tirer les mêmes conclusions que moi, mais ayant promis de dire tout ce qui s'est passé je dois conter ceci et j'ajoute qu'à l'époque, si j'étais un croyant, je n'étais guère pratiquant. Il n'en est plus de même."

 

Donc, une religieuse que, tout d'abord, il n'identifiait pas à saint Thérèse, lui est apparue, "jeune femme souriante, au sourire si bon, si doux, si suppliant qu'il en est agaçant" et elle lui dit : "Il faut me construire une chapelle à cette place."

 

"Je me suis levé. J'ai marché dans la chambre de long en large. Je me suis tâté bras et jambes et je me disais : "Il n'y a pas de doute, je suis pourtant réveillé. J'ai du me tromper. "Il faut me construire une chapelle ici" Il ne manquait plus que cela... Mais pourquoi moi ? Pourquoi construirais-je ici une chapelle ? Moi qui ne vais pas à la messe, moi qui ne prie plus jamais. Moi qui mange de la viande quand je peux le vendredi. Me demander de construire une chapelle ? Mais c'est burlesque !"

 

Et puis c'est une vision nouvelle : encore sainte Thérèse mais sous forme d'une gravure encadrée, avec l'inscription : "Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus" ; et enfin, au même endroit, sur le mur, "un disque éclairé s'agrandit de plus en plus et fait apparaître ces mots : "Le créateur a surtout soif d'amour"... De l'autre côté, je lis : "Sur toutes les routes de l'univers" et rien de plus. Le cercle lumineux s'est évanoui en tons dégradants."

 

Et voici que maintenant M. Maurice Privat dans des textes plus énergiques encore que ceux de ses devanciers, vient de publier un livre : Seznec est innocent, où il cite des noms, où il accuse. M. Maurice Privat est-il aussi un imaginatif ? La question, cette fois, parait plus complexe. Dans un prochain article, je dirai et les déclarations qu'il a bien voulu me faire et les réflexions que la lecture de son livre m'a inspirées.

 

Charles Chassé

 

 

 

 

 

Belle écriture, Monsieur Chassé. Et puis un article éclairant sur les personnalités troubles de nos deux célébrités de l'affaire Seznec : Huzo et Hervé.  

 

Ainsi voilà de nouveau la piste de Lormaye et la piste de Traou Nez regroupées en un seul article. Pas de hasard, n'est-ce pas ?

 

Donc, en ce jour de fête d'un saint qui fut humble, un peu d'humilité est à souhaiter pour ceux qui brandissent l'étendard de leur piste en écrasant les autres. Lisez. Informez-vous. Allez plus loin. Ne dormez pas sur vos lauriers. Car moi, qui n'en ai guère, de lauriers, je peux vous dire que tout cela est bien stimulant. Et que cela va en conséquence me stimuler pour continuer encore et encore mes recherches.

 

Liliane Langellier

 

 

P.S. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Charles Chassé, n'hésitez surtout pas à lire :

In memoriam. Charles Chassé (1883-1965)

 

L'affaire Seznec et les imaginatifs
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G
<br /> Sans vouloir vous faire offense, chère hôtesse, je crois qu'on ne peut pas dire que les deux 'H' ; Huzo et Hervé boxent dans la même catégorie et sans votre ténacité, le premier serait aux<br /> oubliettes depuis longtemps. Il semble bien que le seul apport de sa contribution soit le fameux coup de téléphone, donné ou reçu par la future victime lors de son probable dernier repas<br /> au Plat d'Etain.<br /> <br /> <br /> Cet oubli est assez injustice, pour l'homme de lettres qui sera jusqu'au bout aux côtés de Marie-Jeanne mais en y réfléchissant son scénario avait plusieurs défauts rédhibitoires dont les deux<br /> principaux sont une incompatibilité de temps et de lieu. Voyez-vous Lormaye et trop proche d'Houdan et la nuit du 25 au 26 mai... aïe, aïe.... Ça serait admettre de possibles mensonges de notre<br /> suspect qui s'était donné un mal fou à faire croire à une séparation ferroviaire à Dreux ce soir-là....., sans parler de l'inconnu du bureau de poste du lendemain.<br /> <br /> <br /> A ces deux inconvénients il faut ajouter que cette piste accusait trop précisément des personnes, peut-être pas très recommandables mais qui, sur ce coup là, n'avaient pas la souplesse<br /> souhaitée......<br /> <br /> <br /> <br /> Un illuminé et un trépané devrions-nous ajouter à la liste des contributeurs historiques à, le parcours sinueux de Lamour, le Zola de la Cause' presque simultanément défenseur de Delahaye et de<br /> Bonny, comme Delaunay 15 ans plus tard ? Que dire de Hubert, miraculé après un plongeon dans la Seine et de Bal parait-il de tous les mauvais coup de la 4ème et 5ème république ?<br />
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L
<br /> <br /> Dans les deux H, cher gélère, je prends quand même Huzo. Oui, c'est vrai, il n'a pas eu la notoriété de Hervé. Mais il a eu au moins le courage de se présenter à son procès fin décembre 1928. Ce<br /> qui n'est pas le cas de notre juge...Qui a laissé tout le monde se dépatouiller... sans lui...<br /> <br /> <br /> Et puis, comme vous le dites si bien, Charles Huzo a été un soutien et un ami proche pour Marie-Jeanne. Alors, c'est vrai, j'ai tendance à préférer ceux qui ont du coeur et du courage à ceux qui<br /> recherchent la notoriété à tout crin.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> A deux jours du printemps, il semble que la piste se dégage, la neige des malentendus ou des dérapages hors-pistes fond, et vous pouvez reprendre de plus belle vos investigations : car<br /> l'imagination est bien une question d'harmonie : et dans une affaire criminelle les fausses notes s'en donnent souvent à cœur joie.<br />
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S
<br /> L'imagination au pouvoir. Avec Lormaye (Huzo) et Plourivo (Hervé), on a l'essentiel des bases des demandes de révision successives. Avec la carte Bonny, Denis Seznec complète le tableau. Comment<br /> peut-on raisonnablement penser qu'une de ses demandes de révision pouvait aboutir? Mais alors, pourquoi cette débauche d'énergie en pure perte ? En réalité, cette activité soutenue autour de<br /> l'affaire est surtout le fait de la presse et d'auteurs zélés, certainement pas de la défense qui a été contrainte (parfois malgré elle) au minimum pour éviter de casser le jouet. L'équilibre<br /> orchestré accusation/défense tient depuis 1923, pas sur qu'il passe l'année.... vous me direz, 90 ans qu'on nous vend du cheval pour du bœuf, la tromperie a assez duré.<br />
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L
<br /> <br /> On nous promet toujours le grand jour... Je finis par douter qu'il puisse arriver... Un jour...<br /> <br /> <br /> <br />