8 Avril 2015
Denis Seznec : une vie
un combat pour la vérité
Porto-Vecchio - A 68 ans, le petit-fils de Guillaume Seznec, après une demande de réhabilitation rejetée en décembre 2006, continue le combat entamé pour la réhabilitation du nom de son grand-père, voici plus de cinquante ans.
Cela demeure, pratiquement un siècle après les faits, l'affaire la plus troublante pour la justice française, selon le principe que la chose jugée est sacrée. Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec et Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, quittent Rennes pour se rendre à Paris.
En raison d'ennuis mécaniques à répétition, Guillaume Seznec et Pierre Quémeneur se séparent à Houdan, non loin de Dreux. Guillaume Seznec rentrera en Bretagne avec la Cadillac, Pierre Quémeneur prendra, lui, le train pour Paris. Plus personne ne le reverra jamais.
Débute alors l'affaire Seznec, une enquête sans cadavre, sans mobile, sans aveu, sans arme du crime et pourtant Guillaume Seznec sera condamné au bagne à perpétuité en Guyane. Après vingt longues années dans le bagne des bagnes, le général de Gaulle le graciera au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Son petit-fils, Denis Seznec a débuté la semaine passée à Porto-Vecchio une série de conférences.
Le jeudi 2 avril, il était au collège Léon-Boujot à la rencontre de deux classes de troisième, avant de se rendre, samedi après-midi à Sotta, où à l'invitation de la municipalité il a animé une conférence-débat, en présence de membres du barreau, dont le bâtonnier de Bastia Me Jean-Pierre Seffar et du bâtonnier délégué d'Ajaccio Me Louis Bujoli.
Mes Jean Comiti, Robert Ducos et Marco Luca assistaient également à cet exposé. La conclusion a eu lieu, dimanche matin, à l'hôtel Le Goéland. A 68 ans, Denis Seznec, après une demande de réhabilitation rejetée en décembre 2006, malgré les soutiens nombreux de personnalités issues de tous les milieux, continue le combat entamé pour la réhabilitation du nom de son grand-père, voici plus de cinquante ans.
C'est l'histoire d'une vie entière dédiée au rétablissement de la vérité sous la forme d'une lutte entre pot de terre et le pot de fer, incarnée par une justice qui a bien du mal à se remettre en cause sur ce dossier.
Le 25 mai 1923, débute l'affaire Seznec avec votre grand-père, Guillaume qui se rend à Paris avec Pierre Quémeneur. Pouvez-vous retracer les grandes lignes de ce qui demeure aujourd'hui encore, une grande énigme ?
Ils étaient tous les deux négociants en bois, et ils se rendaient à Paris dans une Cadillac issue des stocks américains de la Grande Guerre, mais la voiture tombait régulièrement en panne et à Houdan, non loin de Dreux, mon grand-père décide de rentrer alors que Pierre Quémeneur décide, lui, de continuer sur Paris en train.
A compter de ce moment on ne reverra plus jamais Pierre Quémeneur. Au bout de quelques jours sa famille s'inquiète et l'enquête commence. Mon grand-père est soupçonné, mais il n'y a pas le début d'une piste, pas de cadavre, pas d'aveu, rien du tout.
Il y a eu bien des hypothèses dont celle d'un trafic de voitures américaines en direction de l'URSS, mais mon grand-père s'est trouvé au centre de toutes les attentions des enquêteurs dont un certain Pierre Bonny. Un peu plus d'un an plus tard, il était condamné au bagne à perpétuité.
En décembre 2006 votre demande de réhabilitation a été rejetée. Quel sentiment a suscité cette décision ?
Cela a été d'autant plus dur que la Chancellerie, elle-même avait donné un avis favorable à cette demande de révision et que la garde des Sceaux, Marylise Lebranchu s'était personnellement impliquée dans cette demande, alors quand le verdict est tombé, alors que nous pensions vraiment que nous pouvions gagner, j'ai vraiment pensé, pour reprendre un titre de la presse internationale, avoir échoué à trois mètres du sommet de l'Everest.
Pour deux voix sur quarante magistrats nous avons perdu ce procès en révision. Sentimentalement, j'ai été écoeuré et on ne peut que pleurer et j'ai même eu du mal à réaliser. Oui, ce jour-là, la justice a été sourde et aveugle et cela fait d'autant plus mal par rapport à tout ce que mon grand-père avait vécu, lui qui avait refusé sa grâce au bagne car il se savait innocent et il ne voulait pas de cette grâce qui ne l'innocentait pas.
En décembre 2006, vous avez déclaré, à l'issue du jugement : « La justice est devenue folle ». Comment expliquez-vous ce refus ?
Je pense que le plus simplement du monde, la justice n'a pas voulu reconnaître l'innocence de Guillaume Seznec, car cela aurait créé un précédent et en France la chose jugée est sacrée et surtout on ne revient pas dessus. Cela n'a rien à voir avec les affaires de Patrick Dils ou bien encore Outreau, car ce ne sont pas les mêmes procédures. Pour notre famille cela a été très lourd de conséquences.
Affirmez-vous, toujours, haut et fort que vous n'avez plus confiance dans la justice française ?
D'autres erreurs judiciaires me donnent, malheureusement, raison et très sincèrement, même si aujourd'hui l'administration judiciaire venait à réhabiliter mon grand-père cela ne changerait rien à mon sentiment vis-à-vis de la justice de mon pays.
Les magistrats sont des hommes comme les autres qui font des erreurs et tant que Guillaume Seznec ne sera pas réhabilité, la justice traînera, cela, comme un fardeau. Maintenant le doute s'est insinué, il appartient, sans doute, à la justice de se réhabiliter.
En juin 1989, la loi Seznec est adoptée à l'unanimité. Expliquez-nous pourquoi cela a changé beaucoup de choses dans le monde de la justice, mais pourquoi, aussi, peine-t-elle à être appliquée correctement ?
Avant la loi Seznec, il fallait apporter un fait nouveau quant à l'innocence de la personne inculpée pour que le procès soit révisé. Avec la loi Seznec, il suffit de mettre en doute la culpabilité de l'accusé. Ce faisant, la présomption d'innocence prime. De plus, en février 2015, la modification de cette loi permet à un descendant, plus seulement à un enfant, et en l'occurrence au petit-fils que je suis de demander la révision.
Quant au fait qu'elle soit mal appliquée je pense que cela est dû à un effet corporatiste empêchant comme je vous l'ai, déjà, dit de revenir sur la chose jugée qui demeure sacrée.
Parlez-nous de l'association France Justice ?
Elle a été créée en1993, à mon initiative, son président est Me Jean-Yves Digoud, elle regroupe des personnalités du monde judiciaire, politique mais aussi de divers horizons à l'image d'Yves Duteil.
Au départ, bien entendu, elle était liée à l'affaire de mon grand-père mais au fil des années son horizon s'est considérablement élargi et aujourd'hui en prend en considération toutes les personnes qui se trouvent en bute à l'incompréhention de la justice.
Quel est, désormais, l'avenir ?
Tous les hommes politiques savent qu'il convient de réformer l'institution judiciaire, quant à nous nous avons un rendez-vous important le 20 avril prochain.
A cette date nous allons décider ou non d'aller vers un nouveau procès en révision et je crois que si nous décidons d'y aller, nous aurons une conclusion avant le début de l'automne 2015. J'espère cette fois cela sera la bonne et que je pourrais, avec ma famille, goûter à une certaine sérénité.
Que vous inspire la maxime : "Dura lex sed lex" ?
Pourvu que dure la loi. Il faut une justice, c'est obligatoire mais il y aura, toujours, des injustices. Il convient, juste, que la part du doute existe et qu'elle soit reconnue.
92 ans après les faits, ce combat d'une vie que vouss avez commencé à l'âge de 17 ans, vous amène à quel constat et ne vous battez-vous pas aussi pour vous ?
Je ne suis pas aigri et de la même manière mon grand-père ne l'était pas. D'ailleurs je ne serais pas capable de mener un tel combat si j'étais aigri. Je suis respectueux de la loi, mais je souhaite qu'au travers de cet engagement ce soit tout le monde qui soit bénéficiaire des conclusions que l'on pourra en tirer.
Dreyfus, Seznec, et beaucoup plus près de nous Dils, Outreau n'est-ce pas un peu les damnés de la terre ?
Ce ne sont pas du tout les mêmes procédures et il faut remettre chaque procès dans son contexte et dans son époque, mais d'une certaine façon oui. Mais à chaque fois et je vais reprendre une phrase de mon grand-père : "Il faut apprendre à embrasser la main qui tient le poignard".
Hervé Mela
Encadré
CHRONOLOGIE DES FAITS
- 25 mai 1923 : Guillaume Seznec et son ami Pierre Quémeneur conseiller général du Finistère partent en Cadillac pour Paris.
Alentours de Dreux, à Houdan, la voiture connaissant des ennuis mécaniques, Guillaume Seznec décide de faire demi-tour, alors que Pierre Quémeneur continue sur Paris. Guillaume Seznec rentrera en Bretagne, Pierre Quémeneur, lui, disparaîtra à jamais. L'enquête débute sous la direction d'un certain Pierre Bonny, qui deviendra, tristement, célèbre, sous l'occupation en étant le serviteur zélé de la Gestapo. Il sera fusillé à la libération.
- Novembre 1924 : Guillaume Seznec est condamné sans que le corps de Quémeneur soit retrouvé,sans mobile, sans arme du crime, au bagne à perpétuité.
- 1934 : Onze jurés sur douze, ce dernier étant décédé avouent regretter leur décision.
- Février 1946 : Le général de Gaulle décide de gracier Guillaume Seznec après 24 ans d'incarcération dont 20 au bagne.
- 1947 : Guillaume Seznec est de retour en France.
- 1954 : Guillaume Seznec décède dans un "accident" plutot étrange.
- 23 juin 1989 : La loi Seznec est adoptée à l'unanimité des députés et des sénateurs.
- 14 décembre 2006 : Malgré une demande expresse de la Chancellerie et du garde des Sceaux Marylise Lebranchu, la réhabilitation de Guillaume Seznec est refusée à une très faible majorité avec deux petites voix d'avance.
- 20 avril 2015 : A cette date sera prise la décision d'aller une nouvelle fois devant les tribunaux pour un procès en révision.
H.M.
Encadré
L'affaire Seznec expliquée aux collégiens
"Je suis un passionné", Denis Seznec avait prévenu les deux classes de troisième du collège Léon-Boujot à qui il est venu présenter son combat pour la réhabilitation de son grand-père. Anecdotes sur le bagne, précisions historiques sur le contexte politique de l'époque, histoire familiale, l'écrivain déborde d'enthousiasme quitte à dérouter les profanes de l'affaire Seznec. Heureusement que les élèves et leurs professeurs d'histoire avaient préparé une conférence en amont. Difficile en effet de saisir la complexité du combat judiciairement mené par le petit-fils de Guillaume Seznec. Grâce présidentielle, réhabilitation, révision d'une condamnation pénale et loi Seznec, pas sûr que les jeunes aient saisi toutes les nuances du système judiciaire français.
Mais peu importe le cours de droit dispensé par l'héritier de celui qui a fait 24 ans de bagne, les élèves de troisième auront surtout apprécié les anecdotes de Denis Seznec à propos des prisons guyanaises. Dureté des peines par rapport aux faits reprochés, réalité quotidienne du bagne, petites histoires d'évasion, espérance de vie sur l'île du diable, mariages arrangés pour tenter de repeupler ce bout de jungle, l'assemblée n'a rien manqué de l'exposé. Soucieux de connaître ce qu'a enduré son grand-père, l'homme est devenu un spécialiste de la question.
Peu de questions des collégiens, peut-être intimidés par le flot d'informations qu'ils venaient de recevoir mais la volonté de connaître la fin de l'histoire : "Est-ce que votre grand-père est mort au bagne ?" ose une collégienne. Pris dans son récit, le petit-fils Seznec avait oublié de préciser que le bagnard en était revenu, gracié par le général de Gaulle en 1946. Difficile d'intéresser la jeunesse à une affaire criminelle vieille de 90 ans, mais l'originalité d'un tel récit dans leur collège aura au moins attiré leur attention.
H.M.
P.S. Mercredi 15 avril 2015
Vous avez donc ci-dessus la reproduction intégrale de "La der" (page 48) de Corse-Matin du mercredi 8 avril dernier.
La poste fonctionne entre la Corse et le Continent.
Et quand on a des amis corses comme les miens, c'est "à la vie à la mort".
Seznec : le combat d'une vie pour réhabiliter un nom
Cela demeure, pratiquement un siècle après les faits, l'affaire la plus troublante pour la justice française, selon le principe que la chose jugée est sacrée. Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec ...
J'ai pas pu m'en empêcher....