Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : 2 juin 1923. Le curieux rendez-vous de Guillaume...

"But hate is not our strong suit. Humor is."

Robert Mankoff in The New Yorker

 

 

Il paraît que « quand on cherche, on trouve »…

 

Quand on cherche quelqu’un, on le trouve aussi. Cette phrase est valable au sens propre comme au sens figuré.

 

Il y a un personnage dans notre pièce de théâtre qui est resté un peu trop longtemps en coulisses..

 

Alors, on va lui filer un petit coup de projecteur.

 

Histoire de voir.

 

Le 2 juin au matin, notre pote Guillaume nous raconte qu’il avait rendez-vous avec un avocat parisien, Maître Joseph Gautier.

 

A part savoir qu’il habite au 51, rue Vivienne (Quartier de La Bourse, à Paris). Et que notre héros serait allé le voir pour un différend avec un avoué de Morlaix, Me Croissant….

 

C’est pas grand-chose en effet.

 

Sauf que, quand même, le Gautier en question, il est venu témoigner au procès de Quimper. Parce que Vidal, ça ne lui avait pas échappé tout ça. Enfin Achille Vidal, rappelez-vous….

 

Alors on a repris notre bâton de pèlerin, l’ami Thierry et moi. Histoire de voir ce que l’on pouvait bien grignoter de ci de là….

Il faut le dire, ici, quand on effectue des recherches,  les Registres Matricules, c'est une véritable mine...

Vous trouverez donc le sien dans les documents juste en-dessous.

Son R.M. nous apprend ainsi que Joseph est né le 19 février 1858 à Tarascon dans les Bouches-du-Rhône.

C'est fou ce qu'il peut y avoir comme gens du midi pour une affaire qui se déroule en Bretagne...

il a fait son droit à Aix et a été inscrit au barreau de Marseille.

Il nous apprend également qu'il est condamné en 1896 à 1 an de prison pour abus de confiance, réhabilité en 1900 puis condamné en appel à 25 francs d’amende et 2 mois de prison en 1902.

J'oubliais le plus important.

Quand il n'escroque pas son prochain, il est poète, notre Joseph.

Il est surtout le mari d'une très grande poétesse de langue occitane, Brémonde de Tarascon.

"En 1886, à Fontvieille, elle épousa Joseph Gautier, qui exerçait la profession d’avocat, mais aussi celle de poète. Quelques années plus tard, ses parents divorcèrent, un événement qui bouleversa Alexandrine."

Après recherches, le mariage a eu lieu le 24 novembre 1886 à Tarascon.

"En 1894, elle donna naissance à une fille, Marthe Gautier qui devait plus tard devenir médecin-inspecteur à la Préfecture de police de Paris."

La Préfecture de Paris ???? Le monde est petit, quand même.

(ndlr Donc Marthe Gautier était déjà médecin-inspecteur à la Préfecture de police de Paris en 1924... et Marlier, avant d'être nommé à la sûreté en 1923, a passé 2 ans à la préfecture de police de Paris comme directeur du cabinet du préfet... Coïncidence ???)

Brémonde/Alexandrine meurt le 22 juin 1898.

Joseph Gautier avait déjà bien commencé, mais, là, il enfile les escroqueries, les abus de confiance, les chantages, comme d'autres enfilent les perles...

"En 1913, deux mandats d'amener de M. le juge d'instruction Magnien, de Paris et d'un troisième mandat du parquet d'Evreux..."

En 1920, avec deux autres lascars, Douche et Peyssel, et la complicité d'un imprimeur, il font fabriquer 1.500 titres au porteur. Et arrivent à escroquer trois sociétés financières (cf articles du Petit Parisien et du Figaro du 9 juillet 1920 reproduits ci-dessous)

L'affaire Douche Peyssel Gautier de juillet 1920 a été reprise dans Le Figaro, le Journal des débats politiques et littéraires, La Lanterne, Le Gaulois, Le Journal, Le Matin, Le Radical...

Et le Gautier passe une annonce en tant qu'avocat dans Ouest-Éclair de juillet 1921, soit un an plus tard. (cf articles ci-dessous)

Vous m'expliquerez quand même comment l'ami Joseph, rayé du barreau avant 1913, puisse encore passer des annonces en qualité d'avocat en 1921 et 1923...

Sauf si c'est un peu comme dans le film "Les Ripoux" de Claude Zidi avec Poiret et Lhermitte, rappelez-vous, mais oui voyons... "le donnant / donnant" !!!!

Donc...
 

Avocat, poète, et... escroc.

C'est qu'il peut en jouer des rôles à lui tout seul, Joseph Gautier !!!

 

Pourquoi il m'intéresse ?

Je l'ai déjà écrit, parce que personne n'en a vraiment parlé.

Mais aussi parce que notre Guillaume il n'est pas arrivé chez Gautier comme ça.

A-t-il trouvé une petite annonce dans le journal, pourquoi pas ?

J'opterais plutôt pour un conseil d'un de ses potes, genre l'artiste qui tape l'incruste, vous savez, André de Jaegher....

Et puis, et surtout, il y a très longtemps que je suis intriguée par le changement de comportement de Guillaume Seznec après son voyage à Paris ce 2 juin 1923.

Il fait des choses impensables et incohérentes (la gare de Plouaret, par exemple, pour aller au Havre... Il commence à parler de l'acquisition de Traou-Nez, etc...)

Et comme il est filou et malin, Guillaume, là, il semble obéir en automate, et on peut penser qu'il aurait reçu une feuille de route de l'ami Gautier (conditionnel et hypothèse).

Feuille de route à laquelle il ne peut pas échapper.

Parce ce que, lui, Gautier, je suis quasi certaine qu'il en croquait avec la Sûreté Générale.

Oui, qu'il était une balance, quoi..

Ou qu'il leur rendait des petits (voire des gros) services par ci par là histoire qu'on lui fiche la paix rue Vivienne.

 

Donc, et pour nous résumer, nos deux Bretons ont rendez-vous, à une semaine d'intervalle, avec deux escrocs parisiens.

J'ai toujours dit qu'il fallait faire attention où l'on mettait ses pieds.

Et que l'habit ne faisait pas le moine.

Et si - enfin là, j'extrapole gratuitement - Vacquié et Gautier avaient pu se connaître ???

Parce que Paris, c'est tout petit pour le milieu des escrocs....

A votre réflexion...

 

Liliane Langellier,

avec l'aide précieuse de Thierry Lefebvre,

qui a passé de nombreuses heures de recherches pour la documentation.

 

P.S. Grande nouvelle :

Skeptikos a repris le collier.

Ne manquez surtout pas de lire ses derniers articles :

Un indélicat. Encore un...

Tiens, c'est de la fiction ?

Mais tous les autres aussi....

 

Joseph Gautier. Registre Matricule.

Joseph Gautier. Registre Matricule.

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 1)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 1)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 2)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 2)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 3)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite 3)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite et fin)

Joseph Gautier. Registre Matricule (suite et fin)

Joseph Gautier se marie le 24 novembre 1886 à Tarascon.

Joseph Gautier se marie le 24 novembre 1886 à Tarascon.

Alexandrine Gautier in "Anthologie du Félibrige Provençal (1850 à nos jours)" en page 262.

Alexandrine Gautier in "Anthologie du Félibrige Provençal (1850 à nos jours)" en page 262.

Anthologie du Félibrige Provençal.

Anthologie du Félibrige Provençal.

Marthe Joséphine Gautier née le 15 juin 1894 à Marseille (13), décédée le 26 juillet 1962 à Cenon (33).

Marthe Joséphine Gautier née le 15 juin 1894 à Marseille (13), décédée le 26 juillet 1962 à Cenon (33).

Marthe Gautier. Mariée. Divorcée. Un enfant... in J.O du 21 juillet 1935.

Marthe Gautier. Mariée. Divorcée. Un enfant... in J.O du 21 juillet 1935.

Gautier... Tout pour plaire... in "Le Temps" du 25 avril 1913.

Gautier... Tout pour plaire... in "Le Temps" du 25 avril 1913.

Notre gars Gautier était bien connu de la Sûreté Générale.... In Le Petit Parisien du 24 avril 1913.

Notre gars Gautier était bien connu de la Sûreté Générale.... In Le Petit Parisien du 24 avril 1913.

"Un ancien avocat arrêté" in Le Matin du 24 avril 1913.

"Un ancien avocat arrêté" in Le Matin du 24 avril 1913.

A plus, on peut plus... in Le Figaro du 9 juillet 1920...

A plus, on peut plus... in Le Figaro du 9 juillet 1920...

Et un... et deux... et trois aigrefins... In Le Petit Parisien du 9 juillet 1920.

Et un... et deux... et trois aigrefins... In Le Petit Parisien du 9 juillet 1920.

Mais... Un an plus tard... Une annonce de Gautier in l'Ouest-Eclair du 6 juillet 1921.

Mais... Un an plus tard... Une annonce de Gautier in l'Ouest-Eclair du 6 juillet 1921.

Gautier franc comme un âne qui recule dans L'Ouest-Eclair du 3 juillet 1923.

Gautier franc comme un âne qui recule dans L'Ouest-Eclair du 3 juillet 1923.

Poète, certes, mais il était un peu marabout aussi, Gautier... In Le Journal du 10 juillet 1923.

Poète, certes, mais il était un peu marabout aussi, Gautier... In Le Journal du 10 juillet 1923.

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A
Je n'avais pas vu votre réponse (en fait, je croyais que mon commentaire n'était pas passé).<br /> Si l'on est à Morlaix, ou à Lille* (où je réside), on peut faire appel à un avocat parisien quand une affaire va avoir un grand retentissement, qu'elle est "médiatisable", ce qui explique le recours de Seznec à Me de Moro-Giafferi, Me Le Hire, le "régional de l'étape", étant un peu réduit au rôle de "porte-cartable", et de "visiteur de prison"<br /> "Si j'accepte la dernière version du livre de Me Denis Langlois (et je l'accepte), on peut envisager que ce sont bien d'autres questions que Seznec avaient à poser.", écrivez-vous.<br /> Allez, je vais m'amuser à analyser les "lapsus" : "Seznec avait à poser [des questions]", ou "LES Seznec avaient des questions"...<br /> Cela dit, je lis et relis, depuis que je l'ai acheté, le livre de Denis Langlois, et je suis assez tenté d'accepter, moi aussi, sa version, et d'en partir pour "rebondir" ensuite.<br /> Donc, effectivement, pourquoi être allé voir ce Gautier, et qui l'a adressé à lui ?<br /> <br /> * En fait, ici, à Lille, si j'étais accusé d'un crime, je n'irais pas à Paris voir qui que ce soit. Nous avons Eric Dupont-Moretti, surnommé "Acquitator", et dont le cabinet est à 100 mètres de chez moi. Controversé, médiatique, mais finalement très compétent, intelligent et efficace.
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A
Dans l'annonce du 6 juillet 1921, il y a une expression qui me laisse rêveur : la "réhabilitation à l'insu de tous". Parce qu'enfin, une réhabilitation, ce nest pas Denis Langlois ni même Denis Seznec qui me contrediront, cela doit avoir lieu, au contraire, au grand jour, non ?<br /> Ou alors, se trague-t-il d'obtenir une mesure de justice "secrète", afin que nul ne sache que le mis en cause avait auparavant été condamné, et qu'il puisse continuer ses petites affaires comme devant ?<br /> Bref, "franc comme un âne qui recule", mais aussi (j'emprunte cette expression à Léo Malet, ou plutôt à son personnage Nestor Burma, qui s'y connaît en ex-avocats et faux détectives véreux) : "droit comme un serpentin de chauffe-eau" (au temps où les chauffe-eau n'étaient pas des cumulus)
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L
Bonjour Alain... Oui, vous avez raison, j'avais manqué la "réhabilitation à l'insu de tous".... Quand on lui demande pourquoi il est allé voir cet avocat parisien, Guillaume Seznec évoque son litige avec Me Croissant. (qui était, je crois me souvenir, plus ou moins de sa famille, et qui possédait aussi une scierie). Va-t-on voir un avocat parisien pour se défendre d'un litige sur Morlaix alors que c'est Me Bienvenue qui s'en est occupé ???<br /> Si j'accepte la dernière version du livre de Me Denis Langlois (et je l'accepte), on peut envisager que ce sont bien d'autres questions que Seznec avaient à poser.<br /> Reste, pour nous, une question, mais de taille : qui lui a conseillé cet avocat véreux ???<br /> Car, à partir du 2 juin, lisez bien, Guillaume Seznec a une conduite des plus bizarres. Il est clair qu'il y a un avant et un après le 2 juin 1923 !